Cézanne, peintre écartelé, au style personnel

Écartelé entre Paris et la Provence, entre le 19è et le 20è, entre l'atelier et le motif...
Impressionniste iconoclaste, Cézanne fut d'abord un Aixois petit bourgeois provincial et obéissant à un père célibataire (qui épousera sa compagne, ouvrière dans son établissement, 5 ans après la naissance de leur fils, Paul)  chapelier devenu banquier qui lui promettait un avenir juridique. Puis ce père s'établit comme banquier.

Après la naissance de Paul, Anne-Élisabeth Aubert, sa mère, s'installe avec son nouveau né chez le père de son enfant. 
C'est là que naît Marie Cézanne, le 4 juillet 1841.


Souvent on considère Cézanne comme un autoditacte mais il a suivi des cours de dessin depuis 1857 dans sa ville d'Aix et a obtenu en 1859 un deuxième prix de dessin.

Il devint l'ami intime d’Émile Zola, condisciple de collège, né comme lui à Aix-en-Provence avec lequel il fera de  longues promenades dans la campagne aixoise et qui le persuadera de monter à Paris.
Il finit par obtenir l'autorisation paternelle, en 1861, et ce dernier lui maintint un pécule lui permettant de subvenir à ses besoins.

Cézanne échouera au Concours d'entrée aux Beaux-Arts mais fréquentera l'Académie de Suisse où il rencontrera Pissarro et Guillaumin.
Il reviendra à Aix, après un bref séjour de quelques mois  à Paris où il repartira un an plus tard et après avoir décidé de devenir peintre, d'en faire son métier. Il se réinscrira à l'Académie suisse.

Ce n'est que le début d'allers-retours entre la Région parisienne et la Provence (une vingtaine au total) qu'il n'aura jamais vraiment quittée. D'ailleurs l'évocation de Cézanne rappelle les paysages de la Provence. Le futur peintre y était très attaché et la maison familiale de Bouffan restera son phare tout au long de sa vie.

 Jas de Bouffan (1878) par Cézanne

Cézanne s'intéressera peu à l'iconographie urbaine de Paris contrairement à ses amis impressionnistes qui peindront l'effervescence et la modernité de cette ville.
Cézanne passera néanmoins, la moitié de sa vie artistique à Paris.

Devenu peintre indépendant, il rencontrera cependant, Bazille, Renoir, Monet et Sisley ainsi que Manet par l'intermédiaire de Zola. Ces premières œuvres n’auront rien à voir avec celles de ses amis impressionnistes. Il continuera d'apprendre son métier en fréquentant les grands musées ; il fera des croquis et copiera de nombreux tableaux de maîtres.
En 1874 Guillaumin a réalisé une vue de la Seine à Paris que Cézanne  copiera trois ans plus tard : ce sera "La Seine à Bercy".

le tableau de droite par Cézanne

Cézanne s'éloigne de la touche impressionniste, même dans cette copie, il y met une touche plus colorée.
Avant  tout, Cézanne apprend en copiant les maîtres (Il est d'abord séduit par Delacroix) et peint aussi dans un  style réaliste inspiré par Courbet.
Dans cette diversité (thématique, de lieux...) il cherche à exprimer sa propre vision du monde.
Avec son enlèvement peint en 1867 il sera influencé par le peintre académique Cabanel qui a peint en 1860 "Nymphe enlevée par un faune (=satyre)".

L'enlèvement de Cézanne (1867) avec 2 angelots à gauche du tableau et celui de Cabanel

La période impressionniste de Cézanne durera un dizaine d'années, environ de 1870 à 1880.
Cézanne s'installe à partir d'avril 1872 à Pontoise chez Pissarro, de 10 ans son aîné ; il commence à s'initier à la peinture sur le motif. Cette étape est déterminante. Elle permet aux deux artistes de s'influencer l'un l'autre; tout en gardant leur propre identité. Le but est de parvenir à un exacte représentation de la nature.

Cézanne se cache à l'Estaque avec sa compagne Hortense Fiquet, un modèle qu'il a caché à son père de peur de se voir priver de sa rente, pendant la guerre de 1870, dans une maison louée par sa mère.

Paul Cézanne, "L'estaque, effet du soir" (1870)

Il cachera aussi la naissance de son fils Paul. Son existence ne sera découverte par hasard, par son père qu'en 1878.
Cette situation durera jusqu'à son mariage, en présence de ses parents en 1886.

Hortense fiquet par Cézanne (1877)

Puis après la guerre, il résidera, après Pontoise où Pissarro s'est installé en 1859 , dans le village voisin d'Auvers-sur-Oise, dans une maison fournie par le docteur Gachet.
Pendant deux ans, les deux amis peindront sur le motif (Cézanne n'avait, jusque là, travaillé qu'en atelier) la campagne environnante.
Collaboration bénéfique pour les deux, Cézanne allège sa touche et Pissarro soigne sa composition.

 

La maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise, Paul CEZANNE, 1872-74

Maison et arbre,
quartier de l'Hermitage 
Paul CEZANNE, 1874

Pissarro obtint la participation de Cézanne à la première exposition impressionniste, en 1874 : ses œuvres y seront très mal reçues, et Cézanne refuse d'envoyer des toiles à la deuxième exposition, en 1876.
Il s'y résout pour la troisième exposition, en 1877, où ses tableaux seront à nouveau mal accueillis par le public, qui les juge plutôt lourds et d'une facture grossière. Les critiques s'en prirent avec une violence particulière aux tableaux de Cézanne.
Cézanne, dégoûté et meurtri, cessera toute participation aux expositions impressionnistes. Il va prendre ses distances avec ses amis.
A la fin des années 1870, Cezanne trouvera, plus tard que ses collègues, une forme achevée de peinture, son style personnel.
« Trouver les volumes », voilà quelle était la véritable obsession de Cézanne, « faire quelque chose de solide comme l'art des musées".

On voit s’affirmer cette tendance vers 1880 : citons le Pont à Maincy (vers 1879)

"Le pont de Maincy" - compte parmi les premiers chefs-d’œuvre de ce style personnel.

Paul Cézanne "les toits de Paris" - vers 1882

Il rejoint la Provence à partir de 1882,  d'abord à L'Estaque, puis à Gardanne en 1885,  petit village près d'Aix. Là, il commence son cycle de peintures sur la Montagne Sainte-Victoire, qu'il représente dans près de 80 œuvres.
Sa situation financière reste précaire, d'autant que son père diminue son soutien.

En 1885, au mois de mars, Cézanne s’installe pour la dernière fois à l’Estaque : “Je vais sur les collines me promener, je vois de beaux spectacles de panorama”.

La baie de l'Estaque, Cézanne (1885-1886)

De 1885 à 1886, pour se rapprocher d’Aix, Cézanne a choisi ce village de Gardanne où il a pu s’installer avec Hortense Fiquet et le petit Paul au 27 cours Forbin. Ce bourg de 2645 habitants lui permet une vie sereine ; il se lie d’amitié avec quelques Gardannais et le petit Paul fréquente l’école communale de garçons. Cette période est ponctuée par deux événements marquants de la vie du peintre : c’est de Gardanne qu’il rompt avec son ami d’enfance Émile Zola et le 28 avril 1886 il épouse sa compagne à Aix, régularisant ainsi sa situation familiale vis à vis de ses parents.

                     Le village de Gardanne en 1885 par Cézanne.

Sainte-Victoire fut l'univers privilégié de Cézanne. Certes, en Provence, il a planté son chevalet en d'autres lieux de beauté : au bord de l'Arc, à Gardanne, à l'Estaque, mais sa passion, ce fut Sainte-Victoire, à propos de laquelle il disait : "Là je suis bien, je vois clair, il y a de l'air".

Cézanne n'a pas voyagé. Il n'a pas fait une "carrière" parisienne. Sans doute s'est-il rendu de temps à autre dans la capitale pour des séjours plus ou moins longs, à Pontoise également, à Auvers, à Melun, à Médan ; le but ? rencontrer quelques amis, être en contact, à Paris, avec les peintres en renom dont il n'appréciait guère, il est vrai, outre Delacroix et Courbet, que Monet et Renoir. Il allait parfois visiter les salons - qui régulièrement le rejetaient.

Enraciné dans sa terre provençale, c'est vers elle qu'il revient toujours, et le plus vite possible.

En 1886, il rompt tout contact avec Zola qui lui a envoyé son roman L'"Œuvre", (racontant l'histoire d'un peintre maudit et pourchassé par le destin incapable d'achever sa "grande œuvre") que le peintre a inspiré. Le 28 avril, il épouse Hortense. La même année, son père meurt, lui laissant un héritage confortable qui le met à l'abri financièrement.

Sa première exposition personnelle, organisée par le marchand de tableau Ambroise Vollard en 1895 en l'absence du peintre, se heurte encore à l'incompréhension du public, mais lui vaut l'estime des artistes.

C'est le marchand Ambroise Vollard qui révéla Cézanne.
Cézanne fit en 1899 un portait de lui :

Paul Cézanne , Portrait d'Ambroise Vollard , 1889

Ambroise Vollard est considéré comme l'un des plus importants marchands de l'art contemporain français au début du XXe siècle. Il est crédité de fournir un soutien émotionnel et de l'exposition à de nombreux artistes remarquables et inconnus.

"Apothéose de Delacroix"

Le thème de cette esquisse est emprunté aux images d’apothéoses des empereurs romains ou aux Assomptions chrétiennes. Cézanne rend hommage à celui qu’il surnommait le « grand Maître » en l’associant à ces empereurs qui devenaient, à leur mort, l’objet d’un culte officiel. Deux anges dans le ciel soulèvent le corps nu du peintre tandis qu’en contrebas, des adorateurs en prière contemplent cette ascension. Si le thème et le traitement de la composition sont on ne peut plus oniriques, les personnages n’en sont pas moins réels. Cézanne a en effet figuré Camille Pissarro devant son chevalet et Claude Monet, coiffé d’un chapeau conique. On reconnaît également le maître d’Aix, un bâton à la main et un chien à ses côtés. A l’extrême gauche, Victor Chocquet,  grand collectionneur de Delacroix et fidèle soutien de Cézanne, se tient debout sous un arbre.

La renommée de Cézanne devient internationale et il remporte à Bruxelles un grand succès lors des expositions des Indépendants. Il se fait construire en 1901-1902 un atelier dans la périphérie d'Aix : l'atelier des Lauves.

 Cézanne et les natures mortes

Pour Cézanne, la nature morte est un motif comme un autre, équivalent à un corps humain ou à une montagne, mais qui se prête particulièrement bien à des recherches sur l'espace, la géométrie des volumes, le rapport entre couleurs et formes : « quand la couleur, est à sa puissance, la forme est à sa plénitude » disait-il.

Que, pour Cézanne, poires et pommes soient des seins et réciproquement, critiques et amateurs s'en sont aperçus depuis longtemps.

La fin de la vie de Cézanne de1900 à 1906

Durant la dernière période le peintre vit retiré en Provence, en 1904-1905 il revient néanmoins à Fontainebleau. A la veille de sa mort venait-il y rechercher le silence ?

Autoportrait de Cézanne vers 1900

Dès novembre 1895, Cézanne loue un cabanon aux carrières de Bibémus afin d'y entreposer son matériel de peinture et ses toiles et  il passe une bonne partie de son temps, jusqu'en1904.

Cézanne les carrières de Bibémus - (1895)

En octobre 1906, alors qu'il peint sur le motif, dans le massif de la Sainte-Victoire, un violent orage s'abat. Cézanne a un malaise. Il est recueilli par des charretiers et déposé dans sa maison de la rue Boulegon, à Aix, où il mourra, le 22, emporté par une pneumonie.

Cézanne, dont la renommée n'avait pas dépassé les limites d'un cercle restreint d'artistes et d'écrivains pendant presque toute sa carrière, se révéla vers la fin de sa vie comme l'un des peintres qui avaient le plus influencé l'art contemporain. Après sa mort et jusqu'à nos jours, il a continué d'inspirer presque tous les mouvements qui comptent. Situé au confluent du figuratif du XIXe siècle et de l'abstrait du XXe, l'art de Cézanne opère la synthèse des qualités de l'un et de l'autre : il réconcilie les tendances opposées du romantisme et du classicisme en alliant à la vigueur et au colorisme du premier la sobriété et la linéarité du second.

Il restera cependant en rapport avec Pissarro et d'autres impressionnistes. Renoir vint plusieurs fois lui rendre visite.
Il continuait de voir Zola, malgré sa prospérité et son conservatisme. Zola publie en 1886 L'Oeuvre, dont le héros, un artiste méconnu, est Cézanne ce qui consacra la rupture définitive entre le peintre et le romancier. En cette même année 1886, Cézanne épouse Hortense Fiquet. Quelques mois plus tard, son père meurt, lui léguant une fortune considérable. Au cours de ces années, le talent de Cézanne était de plus en plus largement reconnu, en particulier par les jeunes artistes en quête d'un substitut à l'impressionnisme.
Gauguin, qui avait déjà acquis beaucoup de toiles du maître provençal, prit l'oeuvre de celui-ci comme base de ce que l'on appela sa période synthétique (fin des années quatre-vingt), et Émile Bernard publia en 1892 un article favorable à Cézanne.

À la même époque, les critiques qui s'affirmaient les champions de l'impressionnisme, tels Gustave Geffroy et Georges Lecomte, chantèrent, eux aussi, ses louanges.
Finalement, une grande exposition fut organisée en 1895 à la galerie Vollard, qui eut pour résultat d'élargir l'audience de Cézanne et étonna ses anciens amis impressionnistes eux-mêmes.
La même année, deux tableaux de lui entrèrent au musée du Luxembourg au titre du legs Caillebotte. La gloire de Cézanne s'amplifia pendant les dix dernières années de sa vie. Outre de jeunes artistes comme Maurice Denis qui, en 1900, peignit un vaste Hommage à Cézanne où étaient représentés la plupart des " nabis ", nombre de poètes et d'écrivains s'intéressèrent au maître.

Hommage à Cézanne par Maurice Denis (1900)

Bien que novateurs, Maurice Denis et les siens ne se considèrent pas moins comme les disciples d’un maître, Cézanne, envers qui ils se sentent redevables. Peint à l’orée du XXe siècle lorsque chacun des peintres nabis, au demeurant très différents l’un de l’autre, accuse ses particularités. L’Hommage à Cézanne est donc aussi le portrait souvenir d’un groupe d’artistes, réalisé au moment où, comme l’écrit Antoine Terrasse, “ une période de l’histoire de la peinture était achevée.

Cézanne, cependant, continuait de mener une existence ascétique, presque hermétique, dans ce Midi qu'il ne quitta plus que rarement à partir de 1900. Il y peignait les paysages qui lui étaient chers depuis longtemps, et d'autres tels que Le Château noir , La Carrière de Bibémus et Le Chemin des Lauves. Après qu'il eut en vain tenté de conserver son cher Jas de Bouffan, c'est du reste au chemin des Lauves qu'il fit construire, en 1901-1902, un grand atelier où les monumentales Baigneuses des dernières années ont été composées.
Cézanne devait s'éteindre le 22 octobre 1906, ayant vécu assez longtemps pour voir les expositions d'avant-garde rendre hommage à son Oeuvre en Belgique, en Allemagne et même, finalement, en France.

(merci au site lodace.net  - Contact : lodace@gmail.com pour cette conclusion).

Cézanne "Les grandes baigneuses", 1900-1905                                  Château noir, 1901-1905

      Le chemin des Lauves -1906                                      Gardanne 1885