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Eclaircie après la pluie -
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4 mai 2010

Travailler à en mourir (suite de l'article précédent)

J'ai emprunté ce titre à un documentariste, journaliste sur canal + et qui faisait le magazine d'information "90 minutes", malheureusement supprimé. Il s'appelle Paul Moreira.



PAUL MOREIRA

 

Le blog de Paul Moreira, baptisé « Premières lignes » (du nom de l'agence de presse consacrée aux documentaires d'actualité qu'il a créé en 2006), sera hébergé par le site du Nouvel Observateur. Le journaliste est notamment connu pour avoir lancé le magazine d'investigation de Canal +, « 90 minutes », et pour avoir réalisé des documentaires sur la guerre en Irak.      

Celui-ci a réalisé pour France 2 un premier documentaire diffusé tard le soir et qui est passé presque inaperçu alors qu'il soulevait bien le problème de la violence au travail engendrée par la pression psychologique exercée par un système complexe où les responsabilités humaines sont diluées empêchant les victimes de  dénommer un quelconque adversaire et retournant contre eux cette souffrance qui les conduisait à vouloir s'effacer de cette vie qu'ils subissaient sous le regard indifférent de leurs collègues qui supportaient en silence le même sort qu'eux sans un mot de compassion pour celui qui allait partir.
Ce documentaire édifiant, qui donne de multiples exemples dans des secteurs allant de la banque, à la sidérurgie est visible si vous l'avez manqué en cliquant sur ce qui suit :

un documentaire de Paul Moreira et Virginie Roëls diffusé sur France 2 le jeudi 13 mars 2008.

Puis un Livre, signé de Paul Moreira et du journaliste Hubert Prolongeau a été édité le 7 octobre 2009 sur ce thème, avec le même titre et des exemples supplémentaires chez Renault, chez France Telecom qui défrayait déjà la chronique.

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Présentation de l’éditeur : Quatre suicides en trois ans chez Renault sur le lieu de travail, dix-sept tentatives (dont huit « réussies ») chez France Telecom en quinze mois, une mort volontaire par jour au moins en entreprise d’après les médecins... C’est un fait : le travail tue. Au-delà des licenciements difficiles, du chômage, du harcèlement moral, les conditions professionnelles sont souvent devenues insupportables. Délocalisations, perte de sens, course à la performance, poids de la bourse laminent aussi bien les cadres les plus compétents que ceux qu’ils managent.
Enfin ce fut, diffusée le lundi 26 octobre à 20h35 sur France 3, la série documentaire signée Jean-Robert Viallet et le mercredi suivant, à un heure de meilleure écoute pour la deuxième partie (entre temps on avait évoqué les nombreux suicides chez France Telecom).

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Résumé de la première partie

Dans un monde où l’économie n’est plus au service de l’homme mais l’homme au service de l’économie, les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n’ont atteint un tel niveau. Les histoires d’hommes et de femmes que nous rencontrons chez les psychologues ou les médecins du travail, à l’Inspection du Travail ou au conseil de prud’hommes nous révèlent combien il est urgent de repenser l’organisation du travail.

En France, 3 salariés sur 4 travaillent dans les services. S’il il y a une crise du travail, c’est donc de là qu’il faut l’observer. Nous nous sommes installés dans une entreprise anodine, une entreprise comme il en existe aujourd’hui des dizaines de milliers dans le monde : Carglass. Mondialisée, standardisée, Carglass est une filiale du groupe anglais Belron présent dans plus de 30 pays du monde. Ici, deux credo : une productivité maximale et un client roi totalement satisfait… Deux notions qui, aujourd’hui, dans toutes les entreprises de services du monde, imposent la mise en place d’un management de la manipulation...

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Résumé de la deuxième partie

Alors que la crise fait vaciller le capitalisme financier, La Dépossession raconte l’extraordinaire pouvoir des actionnaires sur le travail et les travailleurs. L’histoire nous transporte d’une usine Fenwick – un fabricant industriel de matériel de manutention implanté dans le centre de la France – jusqu’aux arcanes de la finance new-yorkaise. Petite entreprise française née il y a 150 ans, Fenwick est racheté en 2006 par l’un des financiers les plus redoutés des États-Unis, Henry Kravis. Un homme à la tête du fonds d’investissement KKR, dont les ventes annuelles dépassent celles de Coca-cola, Disney et Microsoft cumulées. Avec ce rachat, pour les salariés français de Fenwick, la donne va radicalement changer. Cette même histoire se déroule dans des dizaines de milliers d’entreprises à travers le monde…

Les statistiques sur cette question ne sont pas totalement fiables, selon les auteurs du documentaire, et cela pour plusieurs raisons :
- s'entendre sur les termes. le suicide au travail, la définition peut fluctuer selon les institutions qui les décomptent.
- la famille du défunt ne souhaite pas que le suicide soit imputé au travail dans société incriminée pour des raisons personnelles.

Pour cette raison, pour que l'entreprise puisse répondre de sa responsabilité et ne pas laisser seule la famille de la victime, entre autre, le syndicat Sud a intenté un procès à France Télécom et une procédure collective a été ouverte pour "harcèlement moral et insuffisance du document d'évaluation de risques".
En effet, une loi du  17 janvier 2002 stipule qu'un syndicat peut intenter une action en justice pour harcèlement moral sous certaines conditions qui modifie le code du travail ainsi :

Chapitre IV

Lutte contre le harcèlement moral au travail


 

Article 168
Après l'article L. 120-3 du code du travail, il est inséré un article L. 120-4 ainsi rédigé :
" Art. L. 120-4. - Le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
 

Article 16
I. - Après l'article L. 122-48 du code du travail, sont insérés cinq articles L. 122-49 à L. 122-53 ainsi rédigés :
" Art. L. 122-49. - Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
" Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi, ou refusé de subir, les agissements définis à l'alinéa précédent ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
" Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.
                  
" Art. L. 122-50. - Est passible d'une sanction disciplinaire tout salarié ayant procédé aux agissements définis à l'article L. 122-49.
                  
" Art. L. 122-51. - Il appartient au chef d'entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements visés à l'article L. 122-49.
                  
" Art. L. 122-52. - En cas de litige relatif à l'application des articles L. 122-46 et L. 122-49, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
                  
" Art. L. 122-53. - Les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise peuvent exercer en justice, dans les conditions prévues par l'article L. 122-52, toutes les actions qui naissent de l'article L. 122-46 et de l'article L. 122-49 en faveur d'un salarié de l'entreprise, sous réserve qu'elles justifient d'un accord écrit de l'intéressé. L'intéressé peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment. "

La plainte déposée par le syndicat Sud s'appuie sur un rapport rédigé par l'Inspection du travail remis le févier 2010 . Celui-ci pointait
«la politique de réorganisation et de management» menée depuis 2006 à France Télécom. (Voir communiqué de l'AFP paru dans libération du 13 mars 2010).


La tourmente commencée en octobre 2009 est donc loin d'être terminée pour  France telecom.
Le gouvernement avait obtenu que l'on change de PDG, le précédent, Didier Lombard, s'étant révélé décidément trop maladroit en parlant "de la mode des suicides" après avoir suggéré, sous forme de boutade, que les cadres faisaient du tourisme balnéaire chez France télécom et que cela devait prendre fin.
Le nouveau PDG  avait lancé une enquête externe sur le climat social dans son entreprise. Celle-ci avait montré que la plupart du personnel était heureuse au travail.

Des suicides en série à France Telecom.

Dans cette entreprise de 102 000 salariés, on a dénombré 32 suicides entre 2007 et 2009 et encore 12 depuis janvier 2010. Ce nombre important de suicidés a fait de cette entreprise  un symbole de la souffrance au travail provoqué par des mutations profondes de l'entreprise, des systèmes d'organisation inadéquates et des méthodes de management pathogènes. Ces critiques ont aussi été formulées par l'Inspection du travail elle-même. Depuis 2006 les effectifs ont été largement réduits pour accroître la productivité.
C'est un système qu'il faut remettre en cause au-delà de telle ou telle détresse particulière, individuelle.
La jurisprudence de la cour de cassation avait admis dans une affaire précédente que le" harcèlement moral pouvait provenir des méthodes de gestion utilisées dans l'entreprise."
Il faut redonner un sens au travail que la recherche de la productivité à tout crin lui a fait perdre.

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D'autres suicides avaient défrayé la chronique en leur temps, notamment au technocentre de Renault ou une grande partie de la recherche - développement avait été centralisée à Boulogne-Billancourt et où la pression sur les salariés avaient été accrue, pour sortir vite de nouveaux modèles, avant la concurrence, logée à la même enseigne.
La SNCF et Pôle emploi ont également été touché par une vague de suicidés.
Pôle emploi est l'exemple même de l'organisation où il est difficile d'atteindre les objectifs fixés par la hiérarchie et finalement par les politiques. La crise augmente le nombre de chômeurs et on presse leurs salariés, en nombre insuffisant et récemment fusionnés, de placer ces chômeurs en emploi. Chacun se sent isolé face à des lasserpe pole emploi france telecom.jpgobjectifs impossibles à atteindre, d'autant que chacun se sent de plus en plus fliqué au fur et à mesure que les résultats sont de plus en plus contrôlés par la hiérarchie, elle même sous pression et contolée, en traitant des bases  de données ("reporting", disent-ils) que les salariés passent leur temps à remplir plutôt que d'appeler des employeurs potentiels.
"Vous êtes autonomes", c'est à dire qu'il faut  entendre:  "vous vous débrouillez pour atteindre les objectifs avec les moyens que vous avez à votre disposition."

 

Mais ne se suicide- t-on plus à France Télécom qu'ailleurs, dans tout le reste de la population par exemple ? Est-elle une entreprise où on est plus suicidaire que dans d'autres ? Toutes les parties prenantes sont restées étrangement discret à ce sujet.

Une étude de l'INSERM sur la mortalité par suicide en France en 2006 (les chiffres les plus récents) fait part de 10 423 suicides, soit 16 pour 100 000 habitants. En 2008, il y eut 11,7 suicidés pour 100 000 employés chez France Telecom. Pas de conclusions hâtives ; dans cette entreprise, il n'y a pas d'adolescents et de retraités qui sont les classes d'âge où l'on se suicide le plus. Il faudrait connaître les suicides de la population active. Il n'existe pas de statistiques dans ce domaine au ministère du travail. Prenons alors dans les chiffres de l'enquête de l'inserm le nombre de suicides parmi la population en âge de travailler, les 25-64 ans. On compte 21,6 suicides pour 100 000 dans cette tranche d'âge. C'est beaucoup plus que chez France Telecom (mais on compte dans cette tranche d'age, également la population active non occupée c'est à dire les chômeurs ce qui a pour effet d'augmenter le taux de suicides de la population active disons totale.
On a connu des vagues de suicides chez les constructeurs automobiles et dans les banques, bien que les déclarations de suicides liés au travail soient sous-estimés ( on a vu pourquoi).
Cependant, la tendance tend à s'accélérer aujourd'hui après une régression qui avait été notée avant l'année 2000, qui marque le début de l'accélération. Celle-ci fut plutôt plus tardive chez France Telecom où l'on a supprimé 40 000 emplois. N'oublions pas qu'il est difficile d'établir des statistiques dans ce domaine des suicides où les raisons de l'acte sont souvent multi-factorielles et n'oublions pas que la tension a elle aussi augmenté, ce qui ne s'est pas traduit par un passage à l'acte automatiquement.
On peut parler d'un véritable mal-être dans l'entreprise et particulièrement dans les grandes tournées vers les nouveaux marchés qualifiés souvent de porteurs (le téléphone mobile, Internet, la finance..). Les suicides ne touchent pas plus les précaires que ceux qui ont la sécurité de l'emploi.
Les plans sociaux semblent contraignant pour les entreprises qui doivent proposer (entreprises supérieures à 350 salariés) à leurs salariés licenciés un reclassement dans le groupe (souvent dans des pays lointains où les salaires sont bas).

 

 

 

 

 

 

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Centre d'appel chez France Télécom

Chez France Telecom les salariés qui résiste aux reconversions forcées (notamment de la technique au commercial), aux mutations, aux démissions sont "cassés", placardés, baladés d'une place à une autre, (le changement de postes est devenu obligatoire tous les 27 mois, la mobilité géographique est également devenue obligatoire. ...bref le harcèlement moral est devenu un sport pratiqué par la hiérarchie pour obtenir des démissions moins coûteuses, que de simples licenciements. On connait les conséquences d'un tel traitement et l'esprit ne peut pas résisté. "Plutôt mourir que d'y retourner", dit une personne dans l'entretien filmé dans un documentaire télévisé. Le taux de démissions a effectivement augmenté en flèche passant de 4,4 % des départs en 2005 à 15,3%  en 2008. D'autres indicateurs de la détérioration du climat social  se sont manifestés, comme la durée des arrêts-maladie qui était de 1 mois en moyenne par salarié en 2008.
Comme le montre un des documentaires,  les personnes qui arrivent à de telles limites ne sont pas des bras cassés ou des tirs au flanc mais des personnes qui aiment le travail bien fait et qui se sont dévoués pour leur entreprise qui ne leur renvoie aucune reconnaissance, pas plus les collègues qui sont imbus de leur narcissisme ; bien souvent est renvoyée une image dévalorisée de soi, "un bon à rien qui ne fait plus le taf comme les jeunes que l'on veut mettre à sa place et qui coûte moins cher, qui sont plus malléable que lui". Chacun pour soi. L'indifférence gagne. Il devient transparent.
Tout est remis en cause, et il faut se débrouiller tout seul. Personne ne tiendra compte de la personnalité de celui qui devra se transformer pour obéir. Il faudra bâcler sa tache pour atteindre les objectifs, trahir les règles de l'art, son éthique professionnelle, bref se trahir soi-même, jusqu'au dégoût de soi qui provoquera le passage à l'acte.
L'organisation du travail actuelle vise à casser les collectifs et la coopération et privilégie l'individu seul, évalué, rémunéré selon ses mérites, quitte à détériorer le rapport au travail par la recherche effrénée de la productivité et de ne faire référence qu'à la gestion sans référence au métier et à la qualité de ce qu'il produit ainsi qu'à la qualité des relations qui naissent spontanément avec les personnes extérieures à l'entreprise.

 

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"Les individus ont besoin d'entraide, de coopération avec leurs collègues, avec leur encadrement qui est aussi là pour les aider à progresser, à travailler bien et pas seulement à les contrôler".
Christophe Dejours(1), professeur titulaire de la chaire de psychanalyse santé travail au CNAM, ajoute : "Il suffit pour y parvenir de dé-serrer la tyrannie de la gestion et de remettre le travail au centre : les règles du métier sont en même temps des règles de savoir-vivre qui organisent la convivialité et la solidarité. Travailler ce n'est pas seulement produire c'est aussi vivre ensemble."

(1) coauteur du livre "suicide et travail : Que faire ?" et aussi
"Orange stressé. Le management par le stress à France Telecom", d'Ivan du Roy.

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